Contes et légendes de la Suisse racontés aux enfants – 17. Une victoire remportée en dormant

Une victoire remportée en dormant

Le sire de Strätlingen (château sur le bord du lac de Thoune) se trouvait à la cour du duc de Bourgogne, quand éclata une guerre entre celui-ci et le roi de France. Les deux princes avaient chacun une grande et belle armée et plusieurs batailles où beaucoup d’hommes périrent étant restées indécises, il fut décidé que chaque camp choisirait un chevalier et que la victoire appartiendrait au peuple dont le représentant vaincrait l’autre en combat singulier. 

Les Français furent très satisfaits de cette convention, car ils comptaient dans leurs rangs un chevalier qui était réputé avoir la force de deux hommes. 

Celui-ci s’avança demandant à se mesurer immédiatement avec son adversaire. Mais le duc de Bourgogne ne trouvait personne parmi les siens qui voulût risquer la lutte. Enfin le duc s’adressa à son ami, le sire de Strätlingen, le priant instamment de lutter pour la cause de Bourgogne ; mais celui-ci répondit : 

— Est-ce bien à moi, qui suis étranger, à combattre ? Tous les braves chevaliers bourguignons n’en seraient-ils pas fâchés ?

Cependant le duc insista, disant à son ami : 

— Nous sommes tous convaincus que vous seul êtes capable de vaincre ce Français. 

Le sire de Strätlingen y consentit enfin et se fit conduire dans la lice. Pour attendre son adversaire il s’assit sur un bloc de pierre qui se trouvait là, et le Français tardant à arriver, il s’endormit et se mit à ronfler de toutes ses forces. 

Lorsque son adversaire parut, il vit le dormeur et fut effrayé. 

— S’il me craint si peu, qu’il puisse dormir si tranquillement, s’écria-t-il, je n’ose pas me mesurer avec lui. 

Et personne en effet ne put l’engager à entrer dans la lice. 

Ainsi le sire de Strätlingen remporta la victoire en dormant.

Contes et légendes de la Suisse racontés aux enfants – 16. La demoiselle de Randenburg

La demoiselle de Randenburg

Dans le château de Randenbourg, à une certaine distance de la ville de Schaffhouse, demeurait une fois une noble demoiselle qui était très pieuse. Chaque matin avant la pointe du jour, elle se mettait en route pour assister aux matines dans l’église du couvent de Ste-Claire à Schaffhouse. Souvent un cerf apprivoisé était son seul compagnon et quand il faisait très sombre il portait une lanterne suspendue à ses cornes. Une fois elle fut attaquée par des brigands, et comme elle était déjà près de la ville elle courut de toutes ses forces pour y entrer afin d’échapper aux assaillants. `

Elle arrive devant la porte ; mais celle-ci est encore fermée et nulle trace du gardien ; dans sa détresse extrême elle adresse à Dieu une prière fervente ; alors soudain la porte s’ouvre, la jeune fille entre, et la porte se referme.

On dit que c’est un ange qui est venu au secours de la jeune fille poursuivie. Et aujourd’hui cette porte s’appelle la Porte de l’Ange.

Contes et légendes de la Suisse racontés aux enfants – 15. La destruction de Schillingsdorf

La destruction de Schillingsdorf

A l’endroit où se trouve actuellement Bürglauenen, pauvre hameau du canton de Berne, il y avait autrefois le grand et beau village de Schillingsdorf.  

Un soir, un terrible orage se déchaîna sur cette localité.  Les éclairs de succédaient sans interruption, et les hautes parois de rochers répétaient d’une manière effroyable le fracas du tonnerre ; il tombait une pluie violente, les dévaloirs se transformaient en torrents, entraînant de la terre, des pierres et même des troncs d’arbres. La Lutschine grossissait à vue d’œil, elle débordait, détruisant les routes et les ponts. Effrayés, les habitants se cachaient dans leurs demeures et le bétail, qui était au pâturage, cherchait en mugissant quelque abri. C’était un orage tel que personne n’en avait vu de pareil. 

Au plus fort de l’orage, un vieillard petit de taille, s’approcha du village. Il était mouillé jusqu’aux os et tremblait de froid. Arrivé près de la première maison, il se secoua pour faire tomber l’eau de son chapeau et de ses habits, et s’étant nettoyé les pieds, il frappa à la porte, avec son bâton. Une femme ayant entr’ouvert la porte il demanda d’un ton modeste qu’on voulût bien le laisser entrer et l’héberger pendant la nuit. D’une voix brusque, elle répondit que chez eux, il n’y avait pas de place pour un mendiant tel que lui, et lui ferma la porte au nez. Sans dire un mot le vieillard fit demi-tour et se dirigea vers la maison voisine, mais là, on ne lui fit pas meilleur accueil. Il en fut de même de toutes les maisons suivantes, et il avait frappé à la dernière sans avoir trouvé de logis. 

Au milieu du village, il y avait une misérable chaumière où il ne s’était pas encore adressé. Il retourna sur ses pas et frappa à la porte de cette | cabane : une vieille femme se montra et dès qu’elle aperçût le vieillard, elle l’invita à entrer. Il suffisait d’un coup d’œil pour voir que cette vieille femme et son mari infirme étaient dans une grande misère, mais on voyait sur leurs visages, que malgré cela, ils étaient contents de leur sort. La bonne femme apporta à l’homme pour se changer des vêtements de son mari, puis elle suspendit les habits mouillés devant le feu, pour les sêcher et enfin elle lui servit ce qu’elle avait : un peu de lait et un morceau de pain. Avant de s’étendre sur la couche qu’on lui avait préparée, le vieillard sortit de la chaumière et dit d’une voix chantonnante : « Les murailles du Château sont fendues, Schillingsdorf périra ! »  On appelait Château une énorme paroi de rochers qui surplombait le village.

Le lendemain, lorsque les vieux époux voulurent voir ce que devenait leur hôte, il avait disparu. La pluie avait continué toute la nuit, et lorsque les habitants du village ouvrirent leurs portes et leurs fenêtres, ils entendirent un bruit comme le fracas d’une grande avalanche : ils virent la paroi du Château chanceler et s’écrouler, et avec une vitesse croissante, les blocs de rocher se dirigèrent vers le village. Sur une pierre énorme qui précédait les autres, était perché un petit vieillard, un gnome, qui la dirigeait avec son bâton comme si c’eût été un gouvernail, ce bloc s’arrèta près de la maisonnette du milieu du village, formant un rempart pour celle-ci, car toute la masse des pierres qui suivait, se partagea et se répandit à gauche el à droite, écrasant les maisons et ensevelissant les habitants qui n’avaient pas eu le temps de fuir, tellement la catastrophe avait été subite. 

La bonne femme et son époux furent les seuls qui eurent la vie sauve. Ils vécurent encore quelques années, puis après leur mort, leur cabâne tomba en ruine, et pendant des siècles, la place occupée auparavant par le beau village de Schillingsdorf, ne fut plus qu’un désert.