La destruction de Schillingsdorf
A l’endroit où se trouve actuellement Bürglauenen, pauvre hameau du canton de Berne, il y avait autrefois le grand et beau village de Schillingsdorf.
Un soir, un terrible orage se déchaîna sur cette localité. Les éclairs de succédaient sans interruption, et les hautes parois de rochers répétaient d’une manière effroyable le fracas du tonnerre ; il tombait une pluie violente, les dévaloirs se transformaient en torrents, entraînant de la terre, des pierres et même des troncs d’arbres. La Lutschine grossissait à vue d’œil, elle débordait, détruisant les routes et les ponts. Effrayés, les habitants se cachaient dans leurs demeures et le bétail, qui était au pâturage, cherchait en mugissant quelque abri. C’était un orage tel que personne n’en avait vu de pareil.
Au plus fort de l’orage, un vieillard petit de taille, s’approcha du village. Il était mouillé jusqu’aux os et tremblait de froid. Arrivé près de la première maison, il se secoua pour faire tomber l’eau de son chapeau et de ses habits, et s’étant nettoyé les pieds, il frappa à la porte, avec son bâton. Une femme ayant entr’ouvert la porte il demanda d’un ton modeste qu’on voulût bien le laisser entrer et l’héberger pendant la nuit. D’une voix brusque, elle répondit que chez eux, il n’y avait pas de place pour un mendiant tel que lui, et lui ferma la porte au nez. Sans dire un mot le vieillard fit demi-tour et se dirigea vers la maison voisine, mais là, on ne lui fit pas meilleur accueil. Il en fut de même de toutes les maisons suivantes, et il avait frappé à la dernière sans avoir trouvé de logis.
Au milieu du village, il y avait une misérable chaumière où il ne s’était pas encore adressé. Il retourna sur ses pas et frappa à la porte de cette | cabane : une vieille femme se montra et dès qu’elle aperçût le vieillard, elle l’invita à entrer. Il suffisait d’un coup d’œil pour voir que cette vieille femme et son mari infirme étaient dans une grande misère, mais on voyait sur leurs visages, que malgré cela, ils étaient contents de leur sort. La bonne femme apporta à l’homme pour se changer des vêtements de son mari, puis elle suspendit les habits mouillés devant le feu, pour les sêcher et enfin elle lui servit ce qu’elle avait : un peu de lait et un morceau de pain. Avant de s’étendre sur la couche qu’on lui avait préparée, le vieillard sortit de la chaumière et dit d’une voix chantonnante : « Les murailles du Château sont fendues, Schillingsdorf périra ! » On appelait Château une énorme paroi de rochers qui surplombait le village.
Le lendemain, lorsque les vieux époux voulurent voir ce que devenait leur hôte, il avait disparu. La pluie avait continué toute la nuit, et lorsque les habitants du village ouvrirent leurs portes et leurs fenêtres, ils entendirent un bruit comme le fracas d’une grande avalanche : ils virent la paroi du Château chanceler et s’écrouler, et avec une vitesse croissante, les blocs de rocher se dirigèrent vers le village. Sur une pierre énorme qui précédait les autres, était perché un petit vieillard, un gnome, qui la dirigeait avec son bâton comme si c’eût été un gouvernail, ce bloc s’arrèta près de la maisonnette du milieu du village, formant un rempart pour celle-ci, car toute la masse des pierres qui suivait, se partagea et se répandit à gauche el à droite, écrasant les maisons et ensevelissant les habitants qui n’avaient pas eu le temps de fuir, tellement la catastrophe avait été subite.
La bonne femme et son époux furent les seuls qui eurent la vie sauve. Ils vécurent encore quelques années, puis après leur mort, leur cabâne tomba en ruine, et pendant des siècles, la place occupée auparavant par le beau village de Schillingsdorf, ne fut plus qu’un désert.