La comtesse qui n’était contente de rien
A Falkenstein, un des plus magnifiques châteaux des Grisons, vivait une fois une jeune comtesse. Ses chambres étaient meublées avec le plus grand luxe et elle dormait dans un lit de soie. Le matin, en s’éveillant, elle n’avait qu’à faire tinter une sonnette d’argent, alors venait une femme de chambre qui lui mettait des souliers de soie blancs, une robe de soie bleue et un manteau de velours rouge. D’habitude, elle portait même une couronne d’or.
Un matin qu’un valet apportait le chocolat de la petite comtesse, celle-ci dit : « Je ne veux pas de chocolat, je veux du café. »
Quelques instants après parut un nègre avec des pantalons bouffants et une magnifique ceinture. Il apportait le café.
— Je ne veux pas de café ! s’écria la comtesse ; je veux du thé !
La porte s’ouvrit et un petit Chinois avec une longue tresse se montra apportant un superbe service à thé en fine porcelaine. Et la comtesse daigna prendre quelques gorgées du breuvage aromatique.
Puis, elle manifesta son désir d’aller faire une promenade en voiture ; mais quand on vint dire que la voiture bleue avec six chevaux blancs était prête, elle s’écria d’une voix de mauvaise humeur : « Je ne veux ni la voiture bleue, ni les chevaux blancs. Je veux la voiture jaune et quatre chevaux noirs ! »
Il était midi quand la comtesse revint de sa promenade. N’ayant pas beaucoup mangé à déjeûner, elle avait même un peu d’appétit. Mais dès qu’elle vit qu’on lui servait du bouillon, elle dit : « Non, je ne veux pas de bouillon, je veux une julienne ! » Un cuisinier, coiffé d’un bonnet blanc, apporta de la julienne, mais alors la comtesse cria : « Je ne veux pas de cette julienne : je veux de la soupe au lait ! »
Elle mangea quelques cuillères de la soupe au lait ; mais quant à la viande , elle changea quatre fois d’opinion avant de manger trois ou quatre bouchées d’une petite et délicate truite qu’on trouve dans les ruisseaux des Alpes grisonnes.
Toute l’après-midi et toute la soirée, des scènes semblables se répétèrent ; les nombreux domestiques qui se trouvaient au château ne suffisaient pas pour satisfaire les caprices de la petite comtesse. »
Encore au moment de se coucher, elle fit une nouvelle scène ; elle voulait absolument garder sur la tête la couronne qu’elle avait portée pendant le jour.
Le lendemain matin, en s’éveillant, elle se trouva, couchée sur de la paille et recouverte d’une vieille couverture de laine, dans une misérable cabane, au bord d’un petit lac entouré de montagnes sauvages. Elle cria : « Je ne veux pas de paille, ni de couverture de laine ; je veux un lit de soie ! »
Mais personne ne répondit à ses cris, et il n’y avait pas de sonnette d’argent pour appeler la femme de chambre. Pendant plus d’ une heure, elle continua à appeler, à crier, à pleurer. Enfin un vieux pêcheur parut. Elle lui répéta : « Je ne veux pas de paille ni de couverture de laine : je veux un lit de soie ! »
Il lui répondit : « Tu pourras attendre longtemps ! » et il lui tendit une vieille robe en étoffe grossière.
— Je ne veux pas cette vieille robe : je veux une couronne d’or, des souliers de soie blancs et une robe de soie bleue. »
— Eh bien ! Tu pourras attendre longtemps ! répondit l’homme, et il lui dit qu’il lui apporterait · de la soupe au pain quand elle se serait habillée.
— Je ne veux pas de soupe au pain ! cria-t elle : je veux du chocolat !
— Dans ce cas, tu pourras attendre bien, bien longtemps ! fut la réponse.
Elle se décida à s’habiller et à manger un peu de soupe au pain. Puis le vieux pêcheur lui dit : « Maintenant il faut venir aux champs travailler ! »
— Moi ! travailler ! cria-t-elle exaspérée. Je veux aller faire une promenade dans ma voiture bleue attelée de six chevaux blancs !
— Hélas ! tu pourras attendre bien longtemps, bien longtemps ! répondit le pêcheur tranquillement. Il fallait se soumettre. La pauvre petite comtesse dut arracher des mauvaises herbes jusqu’à midi. Elle revint à la cabane, harassée et affamée. Pour son dîner, on lui servit des pommes de terre, et rien autre. Il est vrai qu’elle dit : « Je ne veux pas de pommes de terre sans beurre ! » — mais elle dit ces mots d’une voix tellement basse que le vieux pêcheur ne les entendit pas, et, d’ailleurs, elle se mit à manger les pommes de terre sans beurre.
L’après-midi il fallut de nouveau aller travailler aux champs, et pour le souper, on lui servit du poisson bouilli. Elle pensa : « Je ne veux pas du poisson bouilli, je veux du poisson frit ! » — mais elle ne dit rien et mangea tranquillement ce qu’on lui donna.
Le lendemain et le surlendemain ressemblèrent à ce jour, ainsi que les autres jours de la semaine et les jours de quatre longues semaines.
Ah ! si vous aviez vu comme la petite comtesse était devenue sage et obéissante !…
Le dimanche matin, au bout des quatre semaines, elle se réveilla… dans son lit de soie ; elle sonna et la femme de chambre vint aussitôt et lui mit ses beaux souliers et sa belle robe. Et quand le valet de chambre apporta le chocolat, elle lui dit : « Merci ! » et elle s’en régala bien.
Dès lors, on ne l’a plus jamais entendu dire : « Je ne veux pas ceci : je veux ça ! »